9 SEPTEMBRE 2021 - SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI
ELOGE
FUNÈBRE
DE JEAN-PAUL BELMONDO
PRONONCÉ PAR LE PRÉSIDENT
DE LA RÉPUBLIQUE
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Madame la maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les élus,
chère famille BELMONDO, Mesdames et Messieurs,
Jean-Paul BELMONDO était de la famille. Frère, cousin, oncle, ami, séducteur, père hors norme, héros aux mille visages dont la carrière charrie mille vies, dans lesquelles nous retrouvons tous un
peu des nôtres et qui ont scandé six décennies de vie française.
Mythologie d'une France heureuse où la jeunesse prit tous les droits, des temps d'insouciance puis des temps de doute. Six décennies de cavalcade à nos côtés. Six décennies de théâtre, et de
cinéma d'abord, où il embrassa tous les genres. La gueule que l'on voulait voir dans les salles obscures, la gouaille qui réchauffait les soirées télévisées des Français, BELMONDO fut la figure
qui transperça les styles, traversa les époques, cassa toutes les barrières.
D'abord icône de la Nouvelle Vague avec Jean-Luc GODARD, puis François TRUFFAUT, star inégalée du cinéma français et populaire avec Henri VERNEUIL, Gérard HOURI, Philippe DE BROCA, Jean BECKER,
Georges LAUTNER, Louis MALLE, DERET, Philippe LABRO, Claude LELOUCH, et tant d'autres, homme de planches avec Robert HOSSEIN et Bernard MURAT, présence inoubliable des inclassables Jean- Pierre
MELVILLE, Alain RESNAIS, Claude SAUTET ou Claude CHABROL, il fut tour à tour génial improvisateur et servant des dialogues sans égal. Interprète orfèvre, cascadeur hors pair, survolant Venise
accroché à un trapèze, héliporté dans « Le Guignolo », domptant un tigre sauvage dans « L’animal », cheminant suspendu à un fil d'acier entre deux immeubles dans « Un homme à Rio », mais là,
toujours.
Les jeunes premiers des années 50 pouvaient laisser place au « filmer vrai » de la Nouvelle Vague, BELMONDO était là. La couleur pouvait définitivement supplanter le noir et blanc, BELMONDO était
là. Hollywood pouvait briller, ces vedettes conquérir l'Europe, BELMONDO était là. Avec sa bande du conservatoire, Annie GIRARDOT, Michel BEAUNE, Guy BEDOS, Bruno CREMER, Jean-Pierre MARIELLE,
Jean-Pierre MOCKY, Claude RICH, Jean ROCHEFORT, Philippe NOIRET et, bien sûr, Françoise FABIAN et Pierre VERNIER, il ne cessa de se renouveler, se réinventer et, ce faisant, de conquérir les
générations successives.
Il est cette présence avec laquelle on vieillissait de film en film, de style en style. Toujours le même, toujours changeant. Jean-Paul BELMONDO a vécu à nos côtés cette vie française. Passeur
entre Jean GABIN, Pierre BRASSEUR et quelques autres et les nouvelles générations. Immortel, non seulement par ses films, mais parce qu'il enseigna son art de la scène et du jeu, à vous Jean
DUJARDIN, Antoine DULÉRY, Richard ANCONINA, Gilles LELLOUCHE, qui étaient devenus sa nouvelle bande et qui êtes là
en cet instant pour reprendre son flambeau.
Durant ces décennies, Jean-Paul BELMONDO n'embrassa pas seulement les époques et les gens ; il épousa la France. Lui qui, par tous ces rôles, traversa à grandes embardées l'histoire de notre
pays. Le voici sous la régence mi-soldat mi-bandit de grand chemin, puis remarquable marié de l'an 2, au creux d'un arbre au petit matin, avec celle dont il devait divorcer. Pilote boxeur de la
der des der dans « l'As des As », sublime soldat désabusé du week-end à Zuydcoote. Chauffeur poids lourd, voyou sur les routes du Sahel pour les « Cent mille dollars au soleil », inoubliable
légionnaire des « Morfalous », BELMONDO fut le visage de tous les bouleversements de nos Trente Glorieuses. Sans prétention, sans jamais chercher à porter une thèse, juste être là,
incarner.
Un jour, prêtre assiégé par les interrogations métaphysiques dans « Léon Morin », un autre, industriel et patron de presse, héritier venu d'Amérique, critique acide de la société de consommation
dans le « Corps de mon ennemi », espion superbe, en mission au Mexique sous la légende bancale d'« Un écrivain perdu ». Flic, voyou, magnifique toujours, Jean-Paul BELMONDO habita la
France.
Tous ces lieux que sa démarche chaloupée, son sourire lumineux ne cesseront jamais de peupler. Nos Champs Elysées, sur lesquels fut abattu la tendre crapule d’« À bout de souffle ». Ce château de
Maintenon qui servit de décor à la fin de parcours du « Professionnel », cette Riviera azuréenne qui résonne encore de l'élégance du mi-flic mi-voyou, ces rues de Marseille qui ne sont pas
seulement celles de la scoumoune, mais le théâtre dans lequel l'ombre de Bébel restera à jamais mêlé à celle d'Alain DELON, seul complice à sa mesure. Ce village de la Côte fleurie et tant
d'autres.
Et les trains qu’il emprunta, et les gares qu’il arpenta, Nantes, Besançon, Lille, Lisieux, ces rues, ces places, ces paysages de France.
Nous aimons Jean-Paul BELMONDO parce qu'il nous ressemblait. Géant parmi les géants, il était surtout cet homme parmi les hommes que décrivait son voisin d'enfance, Jean-Paul SARTRE. On l'admire.
Il nous fait rire. BELMONDO, c'est un peu nous en mieux. Un jour de tournage, Jean GABIN lui lança impromptu : « embrasse-moi mec, tu es mes 20 ans ».
Oui, Jean-Paul BELMONDO était nos 20 ans. Ce jeune homme au nez cassé à qui l'on prédisait un sombre avenir professionnel et affectif et qui, à force de travail acharné, de culot illimité, de
charisme enveloppant, finit par conquérir la France et séduire les plus belles femmes du monde.
Jean-Paul BELMONDO était nos 30 ans. Ce Don Quichotte des temps modernes, capable de repousser les limites de l'ivresse en même temps que celle de la tendresse, tel un singe en hiver.
Jean-Paul BELMONDO était nos 40 ans. Ce commissaire aussi athlétique, intrépide que tous, nous aurions rêvé d'être pour nous battre contre la peur sur la ville.
Jean-Paul BELMONDO était nos 50 ans. Cet entrepreneur à succès qui, soudain, choisit, dernière étape de l'itinéraire d'un enfant gâté, de larguer les amarres vers sa liberté et vers son destin.
Il fut l'ami que chacun aimerait avoir. Lui qui, jusqu'au bout, convia son acolyte de toujours, Charles GÉRARD, Charlot, pour refaire le monde chaque midi comme chaque soir.
Il fut le fils que tous les parents rêvent d'avoir. Capable de refuser une statuette des Césars parce qu'elle n'avait pas été conçue par son père et de passer des heures au chevet de sa mère
aveugle, lisant des pages et des pages de ses romans préférés.
Il fut le père exemplaire, qui, pour élever ses enfants, n'hésitait pas à refuser tout tournage en juillet comme en août et le grand-père que vous venez à l’instant avec émotion de décrire.
BELMONDO, c'est la tendresse. Parisien au sang italien, amoureux de la langue Grand Siècle autant que de l'argot parisien, tendre, turbulent, bourgeois, boxeur, athlète incroyable, criblé de
fêlures, Jean-Paul BELMONDO raconte nos contradictions, nos failles. On aime sa solitude, son goût du risque, l'élégance de sa joie, son style.
À chaque fois, il fit la chronique de nos vies. D'un monde triste et gai, tendre et cruel, réel et surréel, terrifiant et marrant, nocturne et diurne, solite et insolite, beau comme tout. Au
fond, c'est peut-être Pierrot qui, dans sa douce folie maquillée de bleu, parlait le mieux de BELMONDO.
Cher Jean-Paul, pour toutes ces raisons, vous perdre aujourd'hui, pour tant de Françaises et de Français, c'est perdre un immense acteur, un long moment enchanté de cinéma français et une part de
nos vies.
Et si, malgré le chagrin, il nous faut sourire ce jour, comme vous n'avez jamais cessé de le
faire, c'est parce que nous savons que vous continuerez de nous accompagner, qu'il nous suffira, pour retrouver votre gouaille solaire, de pousser la porte d'une salle de cinéma,
d'allumer une télévision, un écran, alors, à nouveau, la magie opérera.
Et depuis le siège passager d'une voiture rose avec des étoiles vertes, nous pourrons crier que finalement, nous aimons la mer, nous aimons la montagne et nous aimons la ville. Rien à
foutre.
Sur la place du Trocadéro, nous suivrons dans une poursuite endiablée au volant d'un cabriolet. Et dans les rues pluvieuses d'une station balnéaire normande, nous nous livrerons aux joies d'une
corrida nocturne, d'un feu d'artifice improvisé et nous entonnerons quelques chants arrosés d'un doux parfum de Yang-Tsé-Kiang. Et au creux de notre oreille, on entendra peut-être murmurer ces
vers écrits par Cyrano, que tant de fois vous avez incarné, et qui résonnent si fort en ce moment : « Et puis, mourir n'est rien, c'est achever de naitre. »
Alors, j'en suis sûr, votre visage s'illuminera de ce sourire, inoubliable, sans amertume, jamais, sans plainte, juste là.
Et comme un glas sonnera ce mot que tant de fois vous prononcez pour signifier tous les autres que vous ne pouviez plus dire. « Voilà, voilà. »
Adieu Bébel.
Vive la République, vive la France !